LA MINUTE PHILO

Le 16 avril dernier, j’ai eu l’opportunité de témoigner sur mon expérience personnelle « coronavirale » sur la station de radio française RTL, lors de l’émission On est fait pour s’entendre animée par Flavie Flament (*). Après ce bref « instant de gloire » (!), je laisse la parole à d’autres, disons moins anecdotiques… France Inter a reçu il y a quelques jours le philosophe André Comte-Sponville pour un interview haut en couleurs sur sa vision de la société de l’après-confinement. Réfléchir sur ces questions (sans forcément y trouver de réponses) fait, selon moi, le plus grand bien ! En voici quelques extraits.

LA MORT FAIT PARTIE DE LA VIE

Doors to Memory par Zoé Vayssières (Shanghai, Jing’An Sculpture Park)

« Il faut d’abord se rappeler que l’énorme majorité d’entre nous ne mourra pas du coronavirus. J’ai été très frappé par cette espèce d’affolement collectif qui a saisi les médias d’abord, mais aussi la population, comme si tout d’un coup, on découvrait que nous sommes mortels. Ce n’est pas vraiment un scoop. Nous étions mortels avant le coronavirus, nous le serons après.


Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant.”

(Montaigne, Les Essais)

Autrement dit, la mort fait partie de la vie, et si nous pensions plus souvent que nous sommes mortels, nous aimerions davantage encore la vie parce que, justement, nous estimerions que la vie est fragile, brève, limitée dans le temps et qu’elle est d’autant plus précieuse. C’est pourquoi l’épidémie doit, au contraire, nous pousser à aimer encore davantage la vie.

EST-CE LA FIN DU MONDE ?

Avant le typhon (crédit DG)

Un taux de létalité de 1 ou 2 %, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde. Mais c’est quand même hallucinant. Rappelons que ce n’est pas non plus la première pandémie que nous connaissons. On peut évoquer la peste, au XIVe siècle, qui a tué la moitié de la population européenne. Mais on a rappelé récemment dans les médias, à juste titre, que la grippe de Hong Kong dans les années 1960 a fait un million de morts. La grippe asiatique, dans les années 1950, a tué plus d’un million de personnes. Autant dire beaucoup plus qu’aujourd’hui dans le monde. On en est à 120 000 morts. En France, les 14 000 morts est une réalité très triste, toute mort est évidemment triste mais rappelons qu’il meurt 600 000 personnes par an en France. Rappelons que le cancer tue 150 000 personnes en France.

En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? Pourquoi devrais-je porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d’âge est de 81 ans ? Rappelons quand même que 95 % des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans. Je me fais beaucoup plus de souci pour l’avenir de mes enfants que pour ma santé de septuagénaire.

LA SANTÉ, VALEUR SUPRÊME ?

Prada Rong Zhai house, Shanghai, 2018 (crédit DG)

Il fallait évidemment empêcher que nos services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste. C’est une crise sanitaire, ça n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas une raison pour oublier toutes les autres dimensions de l’existence humaine.
La théorie du « pan-médicalisme », c’est une société, une civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la justice, de l’amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes. L’exemple que je donne souvent c’est une boutade de Voltaire qui date du XVIIIe siècle :

« J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé »

Et bien, le jour où le bonheur n’est plus qu’un moyen au service de cette fin suprême que serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins vingt-cinq siècles de civilisation où l’on considérait, à l’inverse, que la santé n’était qu’un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un moyen pour atteindre ce but suprême qu’est le bonheur.
Attention de ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de morale, de spiritualité, de civilisation.

ARRETONS DE RÊVER QUE TOUT VA ÊTRE DIFFÉRENT

Comment essayer de contrebalancer les inégalités après le confinement ? Comme hier, en se battant pour la justice, autrement dit en faisant de la politique. Personne ne sait si l’épidémie ne va pas revenir tous les ans, auquel cas je doute qu’on ferme toutes nos entreprises pendant trois mois chaque année.

The Welcoming Hands par Louise Bourgeois

Arrêtons de rêver que tout va être différent, comme si ça allait être une nouvelle humanité. Depuis 200 000 ans, les humains sont partagés entre égoïsme et altruisme. Pourquoi voulez-vous que les épidémies changent l’humanité ? Croyez-vous qu’après la pandémie, le problème du chômage ne se posera plus ? Que l’argent va devenir tout d’un coup disponible indéfiniment ? Cent milliards d’euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même, « c’est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de vies ». Très bien. Mais les vies qu’on sauve, ce sont essentiellement des vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont les payer.  Le Président, pour lequel j’ai beaucoup de respect, disait « la priorité des priorités est de protéger les plus faibles ». Il avait raison, comme propos circonstanciel pendant une épidémie. Les plus faibles, en l’occurrence, ce sont les plus vieux, les septuagénaires, les octogénaires.
Ma priorité des priorités, ce sont les enfants et les jeunes en général. Et je me demande ce que c’est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur, mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes, à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos enfants. Le réchauffement climatique fera beaucoup plus de morts que n’en fera l’épidémie du Covid-19.
Ça n’est pas pour condamner le confinement, que je respecte tout à fait rigoureusement. Mais c’est pour dire qu’il n’y a pas que le Covid-19 et qu’il y a dans la vie et dans le monde beaucoup plus grave que le Covid-19« .

Source : France Inter

André Comte-Sponville est un philosophe français né en 1952. Après son agrégation, il enseigne la philosophie au lycée puis auprès de futurs instituteurs, avant de devenir maitre de conférences à l’université de la Sorbonne à Paris pendant 14 ans. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus connu est Petit Traité des Grandes Vertus (1995). Il est souvent invité à participer à des émissions de télévision et de radio, et écrit pour plusieurs titres de la presse grand public. Il siègera au Comité national consultatif d’éthique de 2008 à 2016. « Il se définit comme un philosophe matérialiste (à la façon d’Épicure), rationaliste (à la façon de Spinoza) et humaniste (à la façon de Montaigne) ».

CHACUN SA CRISE

Et pour sortir au-delà des frontières (vous en rêviez, je le fais !), cet autre article me semble tout à fait à-propos sur les différences de réactions selon les cultures face à la crise du coronavirus. Retrouvez l’intégralité des propos de Yuko Deneuville pour le site femmexpat.com dans ce lien.

« Dans de nombreux pays du monde, la population est restée connectée à une certaine spiritualité. Si en Europe, elle est très souvent vécue comme une injustice, au Japon ou en Chine, la mort est perçue comme faisant partie de la vie, une sorte de fatalité qu’il ne faut absolument pas cacher ou oublier. Les ancêtres sont d’ailleurs honorés au sein même des foyers japonais. »

M50, Shanghai (crédit DG)

Respect des consignes, place de l’individu et du groupe dans la société, distance et proximité physique…d’un pays à l’autre, que de différences ! « Contourner, contester ou encore douter de la parole du pouvoir est une caractéristique bien française, qui s’explique sans doute par notre histoire. Dans certains pays, l’individu est roi. Il est bien difficile d’imposer des règles visant à protéger le groupe et la société dans son ensemble. C’est le cas notamment aux États-Unis. »

Le meilleur moyen est donc bien de travailler notre ouverture et notre tolérance pour mieux comprendre ces différentes approches (et respecter les règles de notre lieu de vie…)

Inspirez, vous êtes bien là où vous êtes !

(*) Pour ceux qui veulent ré-écouter cette émission RTL On est fait pour s’entendre, c’est par ici.

3 commentaires sur « LA MINUTE PHILO »

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