L’ immeuble Le Normandy dans la ville-fantôme (crédit : ByFab)
Mai 2022
« Avril 2022, on s’en souviendra toute notre vie ! ». Pierre et sa famille sont partis de Shanghai fin avril. Témoignage d’un départ mouvementé après un mois de confinement à la chinoise.
*Escape Game : jeu de rôle en équipe qui se déroule dans un décor réel et qui consiste à tenter de s’échapper d’une pièce (ou d’un ensemble de pièces) en résolvant des énigmes, et ceci dans un délai imparti. Inspiré d’un jeu vidéo japonais, l’Escape Game (ou Escape Room) rencontre un certain succès depuis le début des années 2000.
Retour à la vraie vie
La Bretagne. Le chant des mouettes. La valse du ressac. Ce ballet fascinant des vagues qui ondulent sans fin avant de venir caresser le bord de plage. L’air pur. La lumière transparente, incomparable. L’horizon. Ils en rêvaient depuis des mois, des années même (3 ans pour Pierre). Et puis voilà, ils y sont, enfin, et « en réalité, après cette attente qui nous a paru interminable, on s’habitue très vite au retour à la normale » témoigne Pierre.

Après un mois en ligne, les enfants ont repris l’école, juste à côté. Les salles de classe ont vue sur la mer, et cette semaine, en cours de sport, ils ont fait du surf ! Certes, les journées de Pierre et de son épouse sont encore calées sur le rythme chinois, pour être en phase avec les horaires des équipes locales, mais tout va bien. « On organise notre planning de vacances pour cet été, et pour la suite, on verra plus tard… ».
CDI (Confinement à Durée Indéterminée)
Arrivés à Shanghai en août 2020, sans avoir pu revoir les proches en France durant l’été pour cause de pandémie, Pierre et sa famille ont déjà testé plusieurs fois la quarantaine made in China. Mais à chaque fois, la durée était connue à l’avance (sauf résultats de test PCR positifs bien sûr), avec une date de sortie qui aide à tenir. Cette fois, pas de date à l’horizon, que des hypothèses…
Après plusieurs semaines de micro-confinements locaux – immeuble par immeuble, lane (ruelle) par lane, quartier par quartier – la ville de Shanghai, submergée par la vague Omicron, a décidé l’impensable : le confinement strict de plus de 25 millions d’habitants. Coté Est d’abord (Pudong), puis le 1er avril, côté Ouest (Puxi). Pour quelques jours soi-disant…

Et en Chine, quand on est confiné, on ne peut pas sortir du tout, même 1h pour courir, faire ses courses ou promener le chien. On-reste-à-la-maison, et le chien aussi ! Sauf quelques exceptions ponctuelles du style : ceux qui sont dans une résidence arborée peuvent (parfois) sortir (certains jours) dans les espaces communs, d’autres peuvent descendre dans la rue en bas de chez eux uniquement pour faire des tests PCR – tous les 2 jours, parfois tous les jours -, d’autres ont eu le droit de sortir entre la rue A et la rue B pendant quelques jours, et puis clap de fin, terminé…


Shanghai, vidée de ses 25 millions d’habitants (Crédit : Nico de Rougé)
Mais tous ces signes d’espoir sont soumis au régime de l’arbitraire et ne suivent aucune règle s’apparentant à notre logique occidentale. Car on a vu du jour au lendemain, dans certains quartiers, un tour de vis s’opérer, avec pose de cadenas aux grilles et ruelles barricadées.
Il ne faut pas chercher à comprendre, car on ne peut pas comprendre.

« Votre test est anormal »
Le 1er avril donc, en guise de blague, la grille de la ruelle de la famille de Pierre est fermée avec une chaine. Dès le lundi, la valse des PCR démarre. Le mardi, le QR code de l’application shanghaienne anti-Covid de Pierre s’affiche en rouge. Il faut refaire des autotests puis un PCR. Le mercredi, le QR code redevient vert, ouf ! Mais dans l’après-midi, un appel téléphonique signale à Pierre que son fils est positif : « test anormal ». Panique à bord ! En effet, comme commencent à en témoigner les réseaux sociaux, les cas positifs, même asymptomatiques, sont envoyés en « centres » (grands camps assez insalubres du type gymnase ou parc des expos, où les gens sont entassés sur des lits de fortune, lumières allumées en permanence, sans douches, avec peu de sanitaires. Même les enfants, sans les parents, du moins à cette époque.



Les séances de tests dans la rue (Crédits : à gauche : Nico de Rougé / au milieu et à droite : ByFab)
Branle-bas-le-combat, il faut informer d’urgence le consulat et l’ilotier (Français bénévole responsable de la liaison avec le consulat pour un quartier). Les équipes du consulat sont admirables et la consigne est claire, « vous restez chez vous, et si on vient vous chercher, vous nous prévenez et vous demandez à faire un test de contrôle. Mais la situation se tend. Les autorités de Pékin dirigent maintenant les opérations à Shanghai, les règles changent… ».
Ô temps suspendu…
Pendant une semaine, la famille ne peut même plus sortir pour faire un test PCR dans la rue. Il faut faire des autotests à la maison et envoyer les résultats par WeChat. Les autorités locales appellent tous les jours, vérifient que l’enfant « positif » a bien une chambre seule pour s’isoler. Au bout d’une semaine, la famille peut de nouveau sortir dans la lane pour les PCR : « on n’a jamais été aussi contents de se faire tester ! ».
Puis mi-avril, tard le soir, on sonne. Un médecin du CDC (Control Disease Center) vient tester la famille. Les résultats seront négatifs le lendemain. Trois jours plus tard, on recommence. Résultats toujours négatifs. Une période hors du temps, « chaque jour de plus à la maison était une petite victoire ».

La résilience a ce pouvoir de donner à l’anormal un statut de normalité…
Une lumière au bout du tunnel
Après avoir élaboré de multiples scénarios, Pierre et sa famille décident d’anticiper le retour estival en France. Ils prennent leurs billets d’avion pour fin avril et Pierre travaillera à distance. Cette lumière au bout du tunnel est un véritable soulagement après ces jours d’angoisse, cumulés au stress des conditions de confinement : la folie des achats groupés sur WeChat pour acheter de l’eau (non potable en Chine) et de la nourriture (car les fournisseurs et les livreurs sont eux-aussi soumis à ce confinement), le retour de l’école en ligne, l’enfermement, l’absence totale de perspective, et toujours cette peur panique, non pas d’être malade, mais d’être envoyé en centre d’isolement… Cette réservation de billets d’avion leur a donné l’énergie nécessaire pour attaquer l’étape suivante : la procédure de départ. Car quitter le pays n’est pas forcément plus facile que d’y entrer !





La logistique des livraisons de vivres, avec son fameux poulet… (Crédit photos 1 et 2 en haut à gauche : ByFab)
Permis de partir
De façon générale, la Chine excelle à répartir les responsabilités des autorités locales sur de multiples échelons hiérarchiques, et ceci depuis bien longtemps. On a donc vu récemment ressurgir du passé (ou tout simplement reprendre du galon) certaines organisations bien connues des anciens. En résumé, cela s’articule à peu près ainsi :
- le comité de lane/ruelle ou bien le management de résidence : organise les livraisons de vivres, contrôle les allées et venues, autorise les sorties pour les urgences hospitalières… bref, c’est lui qui détient la clef de la grille !
- le comité de quartier (ju wei hui), qui dépend d’un poste de police local, et qui encadre les différents sous-comités ci-dessus
- le subdistrict (jie dao) qui chapeaute les comités de quartier du district
- et le fameux CDC (Central Disease Control) qui a la lourde charge de contrôler l’épidémie sur la ville.

Pour faire court, pour prendre un avion, il faut un test PCR de moins de 24h, un billet d’avion (sur un des rares vols affrétés) et un chauffeur spécial autorisé à se rendre à l’aéroport (car les taxis et transports publics sont tous arrêtés bien sûr). En théorie, c’est jouable !
Le Jour Le Plus Long

Voici le plan : tests PCR le jeudi, chauffeur réservé pour le vendredi 14h, vol vendredi soir (billets pris sur China Eastern et sur Air France, au cas où…). Le dossier est complet, y compris la lettre du consulat et de l’employeur. Mais une semaine avant le vol, les choses se corsent. Même si tous les derniers tests de la famille étaient bien négatifs, il faut 2 jours pour que le fils de Pierre soit retiré de la liste des cas positifs + 7 jours de quarantaine supplémentaires + le test PCR final + 24h pour en avoir les résultats, ce qui nous amène un jour après le vol hebdomadaire ! S’engage alors une bagarre administrative ardue pour gagner 24h. Au bout de quelques jours d’échanges acharnés, accord obtenu !
Le 28 avril donc, tard le soir, le médecin du CDC débarque pour tester toute la famille en promettant les résultats le 29 au matin. Le 29 à 12h rien, 14h, toujours rien. Le chauffeur risque de partir, il faut y aller. Maintenant. Grâce aux bonnes relations entretenues avec le chef de la lane, la grille s’ouvre… l’espace de quelques minutes. Ne pas se poser de questions, ne pas regarder en arrière, on se faufile et on file en espérant recevoir les résultats de test sur le chemin de l’aéroport ! Pierre avait réservé par sécurité d’autres tests dans un hôpital international sur la route, la voiture s’arrête donc, puis après quelques barrages de police, arrivée à l’aéroport international. Sans aucun résultat de tests.



La grille à franchir, le départ en voiture, l’attente interminable devant les portes du terminal
« Vous avez 1 nouveau message »
Il est 16h, il fait 10 degrés et le vent fouette les masques devant les portes du terminal. Mais sans résultats, pas d’entrée possible. Il faut attendre. 18h, toujours rien, 19h, pas mieux. La tension monte, tout le monde est crispé dans la famille, passant de l’hystérie à l’abattement, mais on tient, malgré tout. 20h, 21h, silence radio des labos.
21h30, ding, « vous avez 1 nouveau message » annonce WeChat. En effet, le précieux intermédiaire avec les autorités sanitaires envoie à Pierre les résultats (en chinois mais négatifs) des tests faits la veille, on respire ! Le marathon des enregistrements et contrôles de sécurité démarre alors. Ceux-ci se dérouleront sans encombre. Décollage à 00h10 dans un avion occupé par 40 passagers, dont deux autres familles françaises, ayant elles-aussi vécu leur propre parcours du combattant.

« A un moment, je réalise que nous survolons la Russie, témoigne Pierre, mais dans un vol chinois, pas grand risque… ». L’arrivée à Roissy se passe en douceur, et après un petit interrogatoire réservé aux non-vaccinés qu’ils étaient (malgré leurs deux injections de Sinopharm) et un autre test PCR, Pierre et les siens sont libres et filent vers leur Bretagne tant désirée.
Navigation à vue
Depuis leur maison familiale qu’ils redécouvrent, ils reprennent un cours de vie « normale », il est trop tôt pour penser à l’après. « Ce que nous ferons à la fin de l’été ? Un retour à Shanghai, si tout va bien ! Nous envisagerons les différents scénarios selon l’évolution de la situation. Mais les prévisions ne sont pas très engageantes… ». En attendant, leur cœur reste avec tous ceux qu’ils ont laissés à Shanghai et qui tentent eux-aussi d’apercevoir une lumière au bout du tunnel.

NB : Par curiosité, Pierre a fait faire une sérologie à leur fils pour vérifier son taux d’anticorps avant une première vaccination Pfizer. Résultats : zéro, aucune trace récente de virus. No comment.
NB 2 : Chaleureuses pensées de soutien à cette famille dont la maman et deux des enfants ont été récemment emmenés dans un hôpital de Shanghai car ils sont positifs. Après un mois de quarantaine et de tests quotidiens… No comment.

Un grand merci aux photographes, notamment ByFab (Instagram : by_fab) et Nico de Rougé (Instagram : nicoderouge.photo)
Nous étions sur le même vol et ce fut en effet assez épique d’être autorisé à sortir de notre résidence et d’arriver à l’aéroport sans se faire choper. Raison sans doute pour laquelle le vol était si peu rempli.
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