OMBRES ET LUMIERES

Installation par Cristina Iglesias, Centre Pompidou WestBund Shanghai

Nous vivons tous de drôles de moments et nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Jamais nous ne nous sommes sentis aussi loin de nos bases, de nos proches, mais à la fois (re)-connectés comme jamais les uns aux autres, merci la technologie ! Le retour à la normale n’est pas pour tout de suite, même du coté Est de la planète. Mais profitons de ces instants uniques, de ces liens qui se resserrent pour certains, de ce temps qui s’étire en longueur, en totale opposition avec la vitesse fulgurante de ce virus qui se joue de nous, qui met à dure épreuve le monde des soignants, des systèmes médicaux, des laboratoires et qui bouleverse les équilibres géopolitiques et économiques. Car il en restera forcément quelque chose de bien et de fort, c’est mon intime conviction !

SHANGHAI NEWS

Ce tant attendu retour à la normale se fait décidément attendre mais le temps n’en fait qu’à sa tête et choisit son rythme. A nous de nous y adapter du mieux possible. Ici à Shanghai et en Chine, comme déjà évoqué précédemment, les vitesses de changement et réadaptations sont multiples.

Le « déconfinement » est là mais est sans cesse réajusté selon les lieux, les activités, les comités de quartier et les chiffres quotidiens des infectés… Le virus réimporté continue sa valse lente et menaçante, amplifiée par le phénomène des cas asymptomatiques. Chaque jour voit son nouveau décompte de cas COVID venant de l’Europe ou des États-Unis. Ceux-ci sont à 90% des Chinois revenant au pays, puisqu’il semble être le lieu le plus sûr au monde à présent. Beaucoup sont des étudiants chinois (sur les 1,6 million répartis dans le monde), mais l’amalgame est très vite fait. Même si les étrangers ne peuvent plus franchir les frontières chinoises depuis le 28 mars.

Mais voilà, il ne fait pas bon être « blanc » ici. De nombreux exemples fleurissent autour de nous de refus d’entrée dans tel café, restaurant ou commerce, voire même dans les résidences (pas plus loin que chez nous…). Oh bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais quand même… Si le mot racisme semble un peu fort pour certains, le terme de nationalisme exacerbé semble plus adapté. L’équilibre économique et donc social est mis à mal (et ce n’est que le début), on observe donc un vrai resserrage des rangs autour de ce sentiment si rassurant du « entre nous, soyons plus forts ». Et j’avoue que je n’avais pas prévu cela en écrivant ma publication #jenesuispasunvirus mi-février, choquée de comportements similaires en France envers les Asiatiques… La nature humaine est donc bien la même partout !

LES 10 CONSEILS EN OR

Comme beaucoup, je vois défiler de nombreuses publications diverses et variées. Laissez-moi vous partager quelques-unes d’entre-elles qui ont résonné en moi cette semaine.

Bertrand Piccard

Bertrand Piccard, explorateur avant-gardiste dont je vous ai déjà parlé la semaine dernière (Une crise qu’on accepte est une aventure), a publié quelques réflexions sur le confinement, qu’il a déjà expérimenté dans des conditions pour le moins extraordinaires…

“Bien que mes périodes de confinement dans les cockpits de Breitling Orbiter et de Solar Impulse furent volontaires, on me demande de plus en plus quels conseils je pourrais vous donner pour mieux supporter l’enfermement forcé que la crise actuelle vous impose. Voici ce qui m’a aidé à vivre plusieurs semaines de ma vie dans un ballon ou un avion solaire.

  1. Le plus important pour tenir sur la durée est de ne pas vous projeter dans le futur, ne pas vous réjouir que ce soit terminé. Compter les jours qui restent devient un supplice chinois. Il faut au contraire vous concentrer sur le moment présent, prendre conscience de ce que vous faites, pensez et ressentez, en percevant que vous existez dans votre corps tout entier. De cette façon, vous avancerez avec le temps qui passe, sans vous en rendre compte, et serez presque étonné quand ce sera terminé. Vingt jours dans une capsule peuvent passer très vite, un ou deux mois chez soi aussi.
  2. Le premier pas pour cela est d’apprendre à trouver votre « safe place », une expérience intérieure de réconfort, de sécurité. C’est une des clés de l’autohypnose : vous entrainer à plonger dans une sensation que vous construisez sous forme visuelle, auditive ou sensorielle, et qui vous ramène instantanément dans un cocon protecteur. C’est le bagage le plus utile que j’ai emporté avec moi dans mes expéditions. 
  3. Il faut aussi vous rendre compte que votre confinement est une expérience unique. L’Histoire s’en rappellera, et vous êtes tous, chacun à votre niveau, en train de l’écrire
  4. Cela devient plus facile si vous remettez votre situation personnelle dans un contexte plus grand. Des millions de gens vivent actuellement la même chose. Vous n’êtes pas seuls
  5. Vous devez percevoir le sens de ce que vous faites. Le confinement est utile, il vous protège et protège les autres. Cette notion de sens est primordiale. Des prisonniers politiques maltraités ont d’autant mieux réussi à guérir de leur traumatisme qu’ils percevaient leur captivité comme reliée à une cause à laquelle eux-mêmes et leurs partisans croyaient profondément. A un niveau plus modeste, mon but de promouvoir les énergies renouvelables pour protéger l’environnement m’aidait à supporter l’exiguïté de mon cockpit pendant plusieurs jours de vol.
  6. Quel état d’esprit décidez-vous d’adopter ? C’est un choix que vous devez rendre conscient : la vie veut-elle vous détruire ou au contraire vous offrir un défi à relever, un enseignement à intégrer ? Une crise qu’on accepte devient une aventure, avec un but à atteindre ; une aventure qu’on refuse devient une crise, avec la souffrance en plus d’avoir perdu ce que nous aimions autrefois.
  7. La souffrance augmentera dans la mesure où vous vous battrez pour refuser une situation irréversible. L’acceptation de la réalité vous aidera à baisser votre niveau de stress.
  8. Le courage ou la confiance ? Face à un problème qui vous dépasse, le courage vous permet certes de surmonter la peur, mais la confiance vous emmènera encore bien plus loin. Vous en prendrez conscience lorsque les circonstances vous forceront à sortir de vos références habituelles pour découvrir que vous avez quelque part en vous toutes les ressources pour avancer et réussir. Si j’ai tellement profité de mes vols en solitaire au-dessus des océans, c’est aussi parce que je remarquais que j’en étais capable.
  9. Seuls ? Si vous êtes confiné tout seul, réapprenez à communiquer avec vous-même. C’est quelque chose qu’on a perdu dans la société de loisirs et de distractions dans laquelle on se disperse. On vit trop à l’extérieur de soi-même plutôt qu’à l’intérieur. Se retrouver tout seul devient une révélation dès que l’on recommence à écouter sa vie intérieure.
  10. Ou avec d’autres ? Mais si vous êtes enfermés avec d’autres, la peur de la solitude fait souvent place au dérangement par le bruit, la proximité et le comportement de l’entourage. C’est l’occasion de découvrir un autre mode de communication, non pour échanger des avis qui peuvent devenir conflictuels, mais pour exprimer votre ressenti, vos émotions. Faire part de votre propre vécu et vous intéresser à celui de votre voisin, sans critiques ni reproches. Avant de décoller pour nos 20 jours de tour du monde en ballon, Brian Jones et moi nous étions entrainés à tout nous dire, jusqu’à notre mauvaise haleine. Ce type de détail peut devenir un calvaire sur la durée dans un espace clos. Je me rappelle avoir exprimé à Brian au milieu du Pacifique que je n’étais pas très rassuré. Il m’avait remercié de m’ouvrir ainsi car cela lui permettait d’avouer qu’il était mort de trouille !

En conclusion, tout ce que je vous conseille ici ne vient pas tout seul. Cela s’apprend, s’exerce, se répète. C’est l’apprentissage d’une nouvelle manière d’entrer en relation avec soi-même, les autres et la Vie. Vous avez le temps de le faire actuellement, alors pourquoi vous en priver ? Quand le confinement sera terminé, le plus triste serait de vous dire que vous n’en avez pas assez profité pour évoluer…

Dr Bertrand Piccard, Psychiatre et explorateur, Auteur de « Changer d’Altitude, quelques solutions pour mieux vivre sa vie » (Stock). Lisez cet article sur le site de Solar Impulse.

PAS ENCORE MEDECIN MAIS TANT À RACONTER

J’ai aussi lu le témoignage poignant de Nicolas, externe en médecine en Ile-de-France… En voici les principaux extraits :

 « Je ne serai médecin que dans quelques mois. […] Pas encore médecin donc, mais déjà le besoin profond de raconter […] Pour ceux qui ne nous connaissent pas, nous naviguons entre les services de jour comme de nuit, dans nos blouses un peu trop grandes, échangeons les postes encore et encore. On finit par connaître jusqu’à la personnalité des chefs, les habitudes des différents services, les liens entre les différents médecins, les ascenseurs les plus rapides, les codes des cuisines pour essayer de trouver, affamés par nos longues nuits de garde, un petit yaourt oublié […]. Chez nous, à l’hôpital, à même pas 25 ans, de nos grands yeux d’enfants, on a posé nos mains les premiers sur des bébés venus débuter toute une vie. Des vies d’amour et de tristesse, de violence et de tendresse : une vie d’Homme quoi. On a vu des plaies, du sang et on a entendu des côtes craquer sous nos paumes qui massaient un cœur. Mais on a vu aussi des gens amoureux, des gens heureux, des gens guéris, des gens mourir, des gens souffrir, des gens seuls, des gens tout sacrifier et des gens commettre des erreurs impardonnées. On a vu des gens vieux comme le monde qui s’interrogent sur leur parcours, qui nous offrent des trésors que seul le temps d’une vie leur a permis de collectionner. Car nous sommes de ceux qui avons encore du temps à leur offrir. On leur donne une petite part de notre jeunesse et eux nous donnent une grande part de leur sagesse, et pour ça je ne les remercierai jamais assez…

Je voulais écrire aujourd’hui parce que ce qui m’attriste plus encore que les hommes et les femmes qui n’arrêteront jamais de mourir, ce sont les vivants qui continuent à se déchirer, alors qu’eux ont le choix. [….] Rétrospectivement, des erreurs ont été commises, oui mais par qui ? Par un groupe d’une dizaine de personnes élues temporairement ? Par le millier d’administrateurs travaillant pour l’État et dans les hôpitaux ? Par les millions de votants qui n’écoutaient pas quand l’hôpital clamait son urgence ? Par nous, le millier de soignants qui, il y a quelques semaines encore ne s’inquiétaient pas le moins du monde, car des « fausses pandémies », nous en avions déjà connues ? Ce que je vois moi, aujourd’hui, ce ne sont pas des coupables. Ce que je vois aujourd’hui, c’est un système de santé publique dont je suis fier, car ce système C’EST les soignants qui se mobilisent face à la crise, et les non-soignants qui leur permettent tant bien que mal de le faire. Jamais je n’aurais pensé que nous pouvions être aussi organisés, jamais je n’aurais pensé ressentir autant d’union entre les corps de métier hospitalier parmi lesquels nous, les étudiants, sommes souvent d’intermittents marginaux. […]

J’aimerais que tout le monde puisse voir ce que je vois ces dernières semaines. Je vois des infectiologues qui forment des chirurgiens à la gestion d’une maladie respiratoire aux urgences. Je vois des cardiologues, gériatres, internistes qui gèrent ensemble de nouvelles unités mises en place par les réunions de crise quotidiennes. Je vois des centaines de médecins étudier des dizaines de molécules pour proposer un traitement qui marche, dans les règles de la science, dans un silence éthique et modeste loin du glamour des conférences de presse.
Je vois des étudiants qui malgré un concours incertain s’organisent pour former les plus jeunes, aider au brancardage, se mettre à jour sur des gestes infirmiers pour perfuser, piquer, soigner et décharger (un peu) ceux qui travaillent déjà tant. Je vois ces infirmier(e)s justement, ces aides-soignants, ces agents de nettoyage, qui exercent un métier déjà si dur mais qui ne se plaignent pas et continuent même à s’échanger des blagues, continuent à rendre les heures passées dans le service agréables. Je vois des équipes soignantes qui trouvent le temps, pourtant si précieux, d’appeler les familles interdites de visite. Familles pour qui le proche est le prisonnier d’un rouage encore plus inconnu que d’habitude et infiltré par un ennemi invaincu. Mais des familles qui comprennent et nous soutiennent en tenant courageusement bon.
Je vois des internes qui s’organisent pour aider là où il faut, valsant d’un étage à un autre, dans des spécialités qu’ils n’ont pas choisies. Je vois les praticiens, les chefs et les professeurs continuer à nous enseigner et à nous protéger dans la bonne humeur, alors que leur tête a mille raisons d’être ailleurs.
Je vois les restaurateurs du self-service de l’hôpital distribuer avec le plus grand des sourires des plats emballés aux blouses blanches avant même que ceux-ci n’aient à faire la queue. Jamais un cordon-bleu haricots verts ne m’aura été cuisiné avec autant d’amour par un inconnu. Je vois des jus, des viennoiseries, des boîtes de chocolats, des cookies qui sortent de je ne sais où et qui réchauffent, des dessins d’enfants qui couvrent le mur froid des réanimations et forment de longues haies d’honneur à ceux qui en sortent.
Je vois des gens qui nous applaudissent dans la rue quand on rentre du taf et des arcs-en-ciel collés aux balcons qui me font pleurer de fierté. Je vois des gens qui proposent leur appartement à des soignants et puis beaucoup de gens qui s’entraident. Je vois des amis et des familles qui se voient plus souvent qu’avant, alors même qu’un écran les sépare.

Et peut-être que je suis naïf, mais je crois également voir des centaines d’hommes et de femmes, quel que soit leur bord politique, qui ne doivent pas beaucoup fermer l’œil non plus. A l’heure actuelle, ils se battent pour que ce que nous faisons soit encore possible longtemps. Ils se battent pour obtenir du matériel depuis longtemps produit ailleurs et pour que les industries produisent plus et plus vite, tout en préparant l’après… Et quels que soient mes idéaux politiques, quelles que soient les erreurs commises par le passé, je leur en suis reconnaissant. Reconnaissant car je sais que dans cette longue chaîne qu’est le système de santé en France, chaque maillon a son importance. Surtout aujourd’hui.

Alors, oui c’est compliqué, oui ça va le devenir encore plus ces prochains jours, oui il y a des pleurs, des tragédies familiales et professionnelles, oui on aurait pu être mieux préparés. On peut toujours être mieux préparé. Attention, je ne dis pas que l’hôpital peut fonctionner à flux tendu en temps normal, que la fermeture de lits était une bonne chose, que certains métiers ne devraient pas être revalorisés, et que le nombre de personnels est adéquat. Mais demain et jusqu’à la fin de cette crise, j’aimerais tant rentrer chez moi et oublier un instant que certaines choses nous séparent. J’aimerais pouvoir puiser dans les médias et chez les confinés un tout petit peu d’optimisme, un élan collectif et moins d’angoisse, moins d’accusations, moins de conspirationnisme. Car la force d’un système c’est peut-être aussi sa capacité à s’adapter à une situation nouvelle et à rebondir. […]

Je ne crois pas que l’on pourra toujours tout prévoir. Mais on pourra toujours rester unis par cette solidarité qui, j’en ai eu la preuve ces dernières semaines, n’est pas un mirage.

Ce message est pour tous mes patients mourants, ou seuls, qui ne rêvaient que d’une seule chose, avoir quelques heures avec leurs proches, profiter avec eux des plaisirs les plus simples de la vie, appeler encore un ami peut être, pour sentir une dernière fois l’impuissance du temps face à l’amour et la beauté immortelle de notre monde.”

(Source : L’Obs, 03/04/2020)

COVIDMINUTE

Et n’oubliez pas, pour une lecture lucide, factuelle et à 360 degrés de l’évolution du virus, pensez COVIDMINUTE du docteur Zagury. Sans oublier qu’il y a forcément une lumière au bout du tunnel ! A suivre sur Facebook, LinkedIn, ou sur son site www.covidminute.com.

Vous pouvez à présent passer à autre chose…

Crédit : BG

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