EN DIRECT DE TOKYO

Le mont Fuji-san (Crédit Emma L.)

Après New-York la semaine dernière avec Carine et Tina, je vous embarque aujourd’hui pour Tokyo ! Emma, arrivée au Japon courant 2012, nous raconte comment elle a vécu cette entrée dans l’ère COVID-19. Ou comment faire cohabiter nuances et subtilités nippones avec urgence sanitaire…

LE CHOC DIAMOND PRINCESS

Emma et sa famille ont tout d’abord entendu parler de ce virus en France après les fêtes de fin d’année, puis au Japon à partir de février/mars. « Pour nous à Tokyo, le virus COVID-19 était bien loin de nos préoccupations, et au début uniquement circonscrit à la Chine. Nous ne nous sentions pas particulièrement concernés par le sujet. 

Et pourtant, le virus était potentiellement déjà bien là…

Tokyo, 37 millions d’habitants (Crédit : Emma L.)
  • Le 4 février 2020, le bateau de croisière Diamond Princess est maintenu en quarantaine à quai à Yokohama (port de Tokyo) pendant plus de deux semaines, avec 3711 personnes à bord, dont 2600 passagers confinés dans leurs cabines 24h/24. Il y aura 630 personnes contaminées.
  • Nouvel An Chinois oblige, et malgré l’interdiction des voyages organisés par les autorités chinoises pour ses ressortissants, plus de 2 millions de Chinois débarquent sur l’archipel japonais pour les festivités à la fin du mois de janvier 2020. Ils proviennent de toutes les provinces chinoises, dont la région de Wuhan…
  • La préfecture d’Hokkaido, dans le nord du Japon, a été la première à être touchée de façon significative par le virus fin février. Ce qui a poussé son gouverneur à déclarer l’état d’urgence finalement très tôt : la gestion de crise a été exemplaire et a permis de maitriser très vite la situation.

ENTRE ECHEANCE OLYMPIQUE ET CERISIERS EN FLEURS

Nous avons pris conscience de l’importance de ce virus dès que la France, l’Italie et l’Espagne ont enregistré des situations alarmantes. Et bien sûr, au moment où les USA ont été massivement impactés.

Au Japon, les choses ont mis beaucoup de temps à se mettre en place…

Tout d’abord, personne ne comprenait pourquoi les autorités ne prenaient aucune mesure en février et mars. A l’époque, le gouvernement japonais et la gouverneure de Tokyo (Mme Koike) étaient focalisés sur le sujet brûlant des Jeux Olympiques d’été Tokyo 2020. Ils essayaient autant que possible de maintenir ces JO, et par conséquent, d’être le plus rassurants possible sur l’état sanitaire du pays. Résultat, très peu de communications sur le sujet COVID-19 à cette époque, et une campagne de dépistage très mesurée et encadrée : il fallait deux avis médicaux et présenter de lourds symptômes pour pouvoir être testé et se faire dépister !

Les sakuras en fleurs (Crédit : Emma L.)

Mais dès lors que le Comité Olympique a confirmé le report des JO sur 2021, Mme Koike et Mr Abe (le premier ministre japonais) ont demandé dans un premier temps aux Tokyoïtes d’éviter les rassemblements au maximum, et surtout de ne pas sortir dans les parcs pour Hanami. Hanami, c’est la fête des sakuras, ces fameux cerisiers en fleurs, une tradition très symbolique au Japon où tous les habitants vont pique-niquer sous les arbres pour fêter le printemps. Cette consigne n’a pas été vraiment respectée…

…les parcs de la capitale japonaise étaient bondés pour suivre cette tradition.

A cette époque, nous avons commencé à voir revenir des Français, qui étaient soumis à une « quatorzaine volontaire ».  Celle-ci n’a pas toujours été suivie, et le niveau de prise de conscience de la gravité de la situation dans la communauté expatriée restait plutôt très faible. A titre personnel, nous nous sommes mis en confinement total à partir du 27 mars. Nous étions préoccupés par la rapidité de la diffusion du virus. Nous voulions aussi respecter scrupuleusement les consignes du gouvernement, et étions aussi très sensibilisés sur le sujet, ayant eu des proches lourdement touchés par le COVID-19 en France.

LE LENT CONFINEMENT À LA JAPONAISE

La constitution du Japon ne permet pas d’interdire. Les autorités « recommandent » selon trois niveaux définis (le 3ème niveau étant proche de l’obligation…). Ici, les consignes strictes ont été longues à se mettre en place. Il y a eu une grande période de confusion, chacun étant laissé seul dans l’interprétation de ce qu’il convenait de faire et dans l’exercice de son propre libre arbitre.

La barrière de la langue et la force des non-dits bien connus dans la culture japonaise ne facilitaient bien sûr pas les choses pour nous, les expatriés français. Certains allaient travailler, d’autres étaient déjà en télétravail depuis plusieurs semaines. Les métros, parcs et restaurants restaient ouverts. Les écoles étaient fermées, mais les garderies ouvertes ! Il était recommandé de porter systématiquement un masque, mais la pénurie de masques dans les commerces s’est vite faite ressentir. Et les annonces tardaient à venir. Bref, beaucoup d’incohérence et de flou, entre ceux qui n’avaient pas pris la mesure de la gravité et les autres qui étaient très inquiets. Ne parlant pas bien la langue, nous n’avions pas accès aux informations locales, seulement par bribes et de façon sporadique…

…Nous nous sentions encore plus gaijin (étranger) dans notre pays.

Les magasins de Tokyo équipés de bâches de protection (Crédit : Emma L.)

Le 7 avril, les autorités japonaises publient (enfin) la déclaration d’état d’urgence nationale. L’arsenal de mesures prises était toujours très peu contraignant, mais avait surtout une portée symbolique : c’était le message clair et attendu pour sensibiliser toute la population à la gravité de la situation, et la mobiliser dans la maitrise du développement du virus. Les restaurants ne pouvaient plus ouvrir que jusqu’à 19h00. Les bars et les night clubs ne pouvaient plus recevoir de clients. Les rassemblements n’étaient plus autorisés. Tous les magasins se sont équipés de bâches plastiques de protection, de distributeurs de gel hydro-alcoolique et la prise de température à l’entrée s’est systématisée. Dans les restaurants et hôtels aussi.

Le Japon était enfin mobilisé.

Les Japonais ont alors totalement respecté les consignes. Aujourd’hui, 95 % des gens portent le masque. A ma grande déception, ce sont les gayjins qui restent souvent les moins disciplinés, ce que je déplore car les Japonais n’aimant déjà pas beaucoup les étrangers, cette attitude creuse le fossé entre les deux populations. Nous avions tout de même toujours le droit de sortir, de se recevoir. Il y avait ce sentiment de liberté que d’autres pays n’avaient pas. Mais qui pouvait parfois créer quelques tensions quand certains restaient cloitrés chez eux, alors que d’autres continuaient à se recevoir…

La foule masquée (Crédit : Emma L.)

SITUATION ECONOMIQUE TENDUE

Jean-Côme, mon mari, avait très rapidement démarré le télétravail et l’alternance des équipes au bureau un jour sur deux. Dès que la gouverneure a suggéré le télétravail, toute sa société s’y est mise. Ce qui n’était pas forcément évident car le Japon travaille encore énormément sur support papier, la mise en place rapide du digital a été très déroutante pour certains. D’autre part, les Japonais vivant pour la plupart dans de tout petits appartements, parfois avec parents, grands-parents et enfants, se concentrer et faire des Zoom dans de bonnes conditions était difficile. Le mode de confinement souple lui a permis de maintenir une activité minimum, mais évidemment la situation économique est tendue pour de très nombreux secteurs.

Et pour moi également… J’ai créé il y a peu mon entreprise, EVENTS & ART, et à présent tous les événements sont gelés. Sur cette partie, je pense que nous allons devoir ré-imaginer un moyen de fédérer et de surprendre, et comment rassembler tout en rassurant. Sur la partie « art », je constate agréablement que mes collectionneurs ont toujours l’envie d’acquérir des œuvres. Et nous sentons que les envies de consommation sont différentes et peut-être moins superficielles, une bonne nouvelle !

www.eventsandart.com, Instagram : @eventsandart_official.

OUT OF THE BOX ET…HEUREUX…

Emma, Jean-Côme et leurs deux filles (Crédit : Emma L.)

Côté personnel, nous avons beaucoup profité de ce recentrage avec notre propre famille (couple, enfants), mais aussi nos amis, nos familles à distance que nous n’avions pas toujours le temps de joindre « en tant normal ». Beaucoup de partage, d’écoute, d’échanges. Nous avons appris de nouvelles choses (cuisine, jeux, jardinage…). Nous avons été plus disponibles. Nos deux filles Ève et Élisa, âgées de 10 et 15 ans, ont eu une remarquable intelligence de la situation et se sont parfaitement adaptées aux nouvelles règles et contraintes. Le fait d’être totalement confinés, nous a donné un sentiment de protection. Bien sûr, il y a eu des jours de d’inquiétude, de solitude, d’agacement, de fatigue, de manque de champagne entre amis ! Mais la majeure partie du temps, nous étions dans le plaisir d’être ensemble. Cette communion nous a permis de traverser cette crise sans trop de heurts. Cela pourrait presque paraître déplacé de dire que nous étions heureux car bien d’être ensemble.

Nous avons cassé les codes, changé nos modes de communication.

Avec nos amis du Japon, c’était moins simple… Nous qui étions dès le début très stricts sur les mesures sanitaires et de confinement, nous étions parfois agacés voire inquiets par le manque de respect des consignes de nos amis et relations locales. Et un jour, nous avons décidé de nous préserver, d’arrêter de regarder chez les autres et de ne pas juger car finalement chacun vit cette crise à sa manière.  Nous avons changé notre état d’esprit et nous nous sommes sentis mieux. Même si nous avons perçu parfois de l’incompréhension de la part des autres, nous savions que nous prenions les bonnes décisions et avons gardé le cap en assumant nos choix. Au total, nous sommes restés confinés 9 semaines !

Déconfinés ! (Crédit : Emma L.)

LE BOUT DU TUNNEL ?

L’évolution au Japon est très compliquée. Il y a eu finalement peu de décès avec 930 morts pour 138 millions d’habitants, soit un peu plus de 1/200 000. Nous ironisons ici en disant que nous avons plus de chances de gagner au Loto que d’attraper le coronavirus au Japon… Cependant, le pays a fermé totalement ses frontières, n’a pas du tout l’intention de les rouvrir avant octobre prochain, date de la décision du Comité Olympique sur le maintien ou non des JO de Tokyo en 2021. Rentrer en France pour l’été est désormais un vieux rêve… Mais, à titre personnel, même si la famille, nos racines et nos amis français vont terriblement nous manquer, nous nous sentons en sécurité sanitaire ici et c’est précieux. De plus le Japon est un pays magnifique et riche en paysages variés, nous allons en profiter pour visiter.

Sur les routes de Nakasendo (Crédit : Emma L.)

LE MOT DE LA FIN

La Tokyo tower (Crédit : Emma L.)

Cette période extrêmement particulière nous a, à titre personnel, fait du bien. Nous étions heureux de cette slow life imposée et de n’avoir à se concentrer sur que sur l’essentiel. Il faut maintenant remonter la pente sur le plan professionnel, en espérant que le monde changera vers le meilleur !.

GAMBATTE ! (Courage !)

Un grand merci à Emma pour son riche témoignage et ses magnifiques photos.

Un avis sur « EN DIRECT DE TOKYO »

  1. Merci Delphine et Emma !
    Je suis ravie de lire ce témoignage. J’ai été inquiète de voir les foules se masser pour admirer les Sakura alors que nous nous confinions en France. Bravo pour votre résilience !

    J’aime

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