Attention, coup de cœur artistique ! Le Design Museum de Londres propose depuis peu une exposition saisissante de l’artiste chinois Ai Weiwei, « Making Sense ». C’est une de mes préférées des derniers mois ! Si vous avez la chance de passer par Londres, ne la manquez pas !
Photo couverture : Still Life (Ai Weiwei)
Ai Weiwei, une vie d’artiste engagé

Les talents d’Ai Weiwei sont multiples. Architecte, photographe, sculpteur, vidéaste, il est connu pour ses provocations et ses installations grandioses. Il aime aussi chiner et collectionner des vestiges de son pays. Né en 1957 à Pékin, ses premières années furent marquées par l’histoire mouvementée de la Chine. En effet, il passa son enfance au sein de sa famille exilée dans différents camps, en raison des positions de son père, le poète et intellectuel Ai Qing, opposant au régime chinois. Il héritera de lui ce militantisme provocateur, et bien sûr cette profonde sensibilité artistique. A son tour, il s’engagera dans un incessant combat pour la liberté qui mettra en lumière cette même résilience, ce même courage.
Making Sense, quand espace, design et esthétisme s’entrechoquent
En rentrant dans cette pièce dédiée à l’exposition, c’est un choc visuel. C’est gigantesque et petit à la fois. Les installations sont grandes mais disposées de façon très compacte (mais pourquoi le musée ne lui a-t-il pas consacré plus d’espace ?!). Cela n’en est que plus puissant…

C’est beau et contrasté. Une véritable émotion esthétique est palpable.
L’œil est d’abord attiré par des formes géométriques, des hautes poutres, encastrées dans des tables, par deux immenses serpents qui dansent aux murs, par de grandes surfaces rectangulaires au sol sur lesquelles gisent de petites pièces de formes variées.
Il y a aussi des couleurs vives, du bleu indigo, un peu de rouge bien sûr, qui font écho à des camaïeux de gris, de blanc ivoire et de beige. Des matières brutes comme le bois ancien, le marbre, la céramique, la porcelaine provoquent les textiles modernes et le plastique.



Making Sense, une quête infinie sur le sens de la vie
Il faut absolument se laisser guider par le dépliant qui décode l’inspiration du maitre Weiwei. Les questions que l’artiste soulève sont simples, évidentes presque. Son sens aigu de l’esthétique met le design au service de réflexions existentielles. Il est ici question de passé et de présent, d’artisanat millénaire et de production de masse, d’antiquités et d’objets de la vie courante, de durable et de jetable, de construction et de dé-construction, de perspectives et de liberté.

Quel sens voulons-nous donner à notre vie ?
Morceaux choisis
Je vous livre ici quelques exemples qui m’ont particulièrement touchée et interpelée. Mais je me garderais bien d’être exhaustive, pour laisser place à la surprise, à l’expérience personnelle et l’émotion artistique de chacun. Inspirez, expirez.

De solides tables et colonnes en bois d’un temple de la dynastie Qing (1644-1911) sont assemblées comme entrechoquées, comme en équilibre vacillant, évoquant une destruction ou chute imminente. Le tout sur un parterre de briques multicolores de Lego, symboles de constructions rapides, répétitives, sans âme. Déstabilisant.

L’immense fresque au mur est une ré-interprétation très personnelle des Nymphéas de Claude Monet. Approchez-vous tout près pour comprendre en quoi elle est faite, puis reculez pour y voir le contraste entre les couleurs aquatiques et florales et la sombre tache noire évoquant son exil des années 60. Saisissant.

Que dire de cet immense tapis de petites billes en porcelaine, bien alignées, rangées par taille et en élégant dégradé, allant du beige au gris, quand on comprend tout d’abord qu’elles sont faites main et datent de la dynastie Song (960-1279), mais surtout que ce sont en réalité des balles, des munitions destinées à tuer… Frappant.

Cette composition de tampons rouges et de leurs empreintes affichées séduit l’œil par sa couleur chaude et son graphisme. Elle est le fruit d’une minutieuse et douloureuse investigation d’identification des 5.197 noms des enfants morts lors du tremblement de terre du Sichuan en 2008, dans leur école dont les normes de sécurité n’avaient pas été respectées à la construction. Glaçant.

Quelques vidéos encastrées dans les murs attireront peut-être votre attention, par leur aspect statique, comme l’œil d’une caméra de surveillance qui regarde froidement le monde changer, lentement, presque imperceptiblement mais tellement vite à la fois. Pour ma part, le film Beijing 2003 m’a bouleversée, tant il évoquait de souvenirs et d’impressions personnelles de ces rues qui ne sont plus. Émouvant.
Arrêtez-vous aussi devant les photos de la construction du fameux stade olympique The Bird’s Nest (le nid d’oiseau), ou celles provocantes sur la notion de perspective, étonnez-vous devant les objets de la vie courante changés en marbre, laissez votre regard se perdre dans les fragments de porcelaine bleues ou dans les rangées d’outils datant de l’Age de pierre et trouvées sur des marchés aux puces. Foisonnant.

Le public nombreux et hétérogène était concentré, comme happé par les messages de l’artiste. Même si ma tranche de vie en Chine a évidemment été partie prenante dans cette exposition, je suis persuadée que chacun peut à son tour y voir et ressentir une résonance personnelle. Car chacun d’entre-nous veut donner un sens à sa vie.
Inspirez, expirez, vous êtes en vie. Et libres.

Making Sense par Ai Weiwei. 7 avril – 30 juillet 2023.
The Design Museum : 224-238 Kensington High Street, London W8 6AG
Crédit photos : Delphine Gourgues